HANOUNA

18 novembre - 06 décembre 2014

dimanche 14 décembre 2014 par hanougabel

Intéressée par le colloque qui devait se tenir à St Etienne, j’ai rejoint Esméralda à Arles, le 18 novembre. Le soir même, Esmé m’a présenté la famille du petit Yonut, aussi en squat...

Le lendemain, nous prenions la route pour le Chambon Feugerolles, chez Jean-Claude.

Le 20, Jeanne arrivait, qui devait intervenir, comme Esmé, JC, Roselita, Emmaüs etc., au cours de ce colloque.

Le 21, c’était le jour "J".

Vendredi 21 novembre

Peu avant l’heure du début de ce colloque, je remarque l’inscription « Liberté – Egalité – Solidarité – Justice » sur le fronton du bâtiment de La Bourse de St Etienne. Si seulement… Dans la salle, Esméralda, Florin, Jean-Claude, Alicia, Jeanne et moi disposons quelques cadres contenant les photos d’enfants Roms, le drapeau de la paix, ainsi que le drapeau Rom, le PC qui nous permettra de visionner une vidéo, etc. Les intervenants s’installent : Esméralda et Jeanne (Fédération européennes des femmes roms et voyageuses), Alain et Maria (Emmaüs), Roselita, Jean-Claude… Les participants arrivent, nombreux, représentant diverses asso (La Gueule Noire, le Collectif Solidarité Roms…). Florin ouvre le colloque avec Djelem, djelem, l’hymme internationale tsigane, sur lequel danse Alicia, sa fille. Chacun des intervenants rappelle la difficulté du travail de terrain, rappelle les lois, non appliquées (pas les bonnes, en tous cas !), témoigne du travail déjà accompli, et de l’immensité du reste. Le colloque touche à sa fin. Pour illustrer les propos des uns et des autres, et pour détendre un peu l’atmosphère, Florin joue à nouveau de l’accordéon, tandis que nous nous préparons à nous réunir autour d’un verre et de quelques biscuits apéro… Le sort en a voulu autrement : une soixantaine de personnes entre dans la salle tandis que l’info passe de bouche en bouche. « Ils ont été expulsés ce matin, et hier se sont fait gazer sur les marches de la mairie »… Nous sommes offusqués. Gazés ? Sur les marches de la mairie ? Malgré la présence d’enfants (la plupart en bas-âge) ? Mais, où est passé l’esprit de la République ?! Florin continue à jouer, entraînant adultes et enfants dans la danse. Ils nous apprennent ainsi qu’il faut profiter, non pas seulement du moment présent, mais de ce que l’on peut glaner de bonheur à la seconde. Nous devions nous retrouver à « La Gueule Noire », afin de partager repas, gâteaux et danses… Tout cela se fera sur place, dans l’urgence, le désordre, et la bonne humeur, malgré la situation. Viendra l’improvisation. Il semble que nos amis Roms aient détecté un squat. Avec Alain, Maria, et Jean-Claude, les hommes partent en éclaireurs. L’attente est longue, ô combien, et le froid piquant, même dans le hall du bâtiment. Les mamans sont à bout, et les petits encore plus harassés. S’il a été obligé de nous faire sortir du local, Pierre Fontenoy, qui nous accueillait dans les lieux, restera à nos côtés jusqu’à ce qu’on ait trouvé une solution. Un mouvement de foule, un gosse très pâle et inerte dans les bras d’une maman, et, dans la foulée, une autre qui s’écroule tout à coup. Le père n’a pas pu retenir l’enfant qui est tombé de ses bras (la fatigue ?), et une femme, atteinte d’un problème cardiaque, n’a pas supporté ce nouveau choc. Position latérale, mise à l’écart des enfants qui se pressent autour d’elle, et des adultes tout aussi ingérables, un peu d’eau sur le visage, tapotement des joues… elle revient un peu, repart… C’est insupportablement long. Mais elle reprend des couleurs et des forces. Nous sommes sur le trottoir, à attendre des nouvelles du squat, aux cotés des femmes et des enfants dont certains s’endorment à même le sol. Des personnes donnent des couvertures, d’autres du pain. Cela me ramène des années en arrière, lorsque vin chaud, couvertures et cigarettes étaient amenés par les passants, les voisins du Canal St Martin, à Paris, alors que 300 tentes venaient de fleuri sur les bords de Seine. Coup de fil de nos éclaireurs : à peine arrivés, la B.A.C. est sur place. On a d’abord cru que le restaurateur voisin les avait alertés, mais étant fermé, ce ne pouvait être que le boulanger plus loin. Mais cette nuit-là, les « autorités » fermeront les yeux. Les camions reviennent chercher femmes, enfants et bagages. Nous nous rendons alors, à La Gueule Noire, pour finir la soirée et grignoter un bout. Jean-Claude raccompagne Jeanne, Florin, et Alicia. Un jeune homme, Jérôme, nous propose de venir veiller chez lui en attendant 4h30, heure à laquelle nous comptons prendre la route pour La Talaudière, avant que les forces de l’ordre n’interviennent pour expulser encore une fois les familles installées. La nuit sera longue. Sur les lieux, il fait froid, d’autant que nous ressentons le poids de la fatigue. Vers 6h30, des véhicules nous intriguent ; nous pensons aux RG, mais ce ne sont que les amis qui viennent nous retrouver afin d’attendre à nos côtés une éventuelle « visite » musclée. Nous buvons un bon café, qu’ils nous ont amené, et allons chercher quelques viennoiseries. Finalement, vers 7h30, nous rentrons, après avoir déposé Jérôme chez lui. Lorsque nous arrivons chez Jean-Claude, il est 8h30, tout le monde dort (Jeanne, Florin et Alicia). La journée s’étire, difficile de ne pas « plonger » ! Nous nous laisserons aller quelques minutes. A 16h, nous nous rendons au squat, pour apporter légumes, fruits, lait, eau, et couches. Des militantes sont là, qui ont fait dessiner les enfants. C’est un peu la cohue… des images d’Afrique surgissent en nos mémoires. Nous revenons enfin, après avoir déposé Jeanne à la gare.

Dimanche 23 novembre

Difficile de dormir, la nuit ne sera pas aussi reposante que nous l’aurions souhaité. Un pique-nique en famille, chez Jean-Claude, nous requinque. Roselita et Padane sont passés chercher Florin et Alicia, afin de les ramener sur Arles. Après leur départ, nous filons à Intermarché : eau, couches pour le squat où nous filons. C’est la cohue, qui nous oblige à refermer le camion, et menacer de partir avec le chargement. Car nous refusons de faire la distribution à l’arrache, comme le font certains humanitaires en Afrique. Nous voulons que chacun garde sa dignité, même si cela arrange les politiques de les faire passer pour des primitifs, et pire, des animaux ! La distribution se termine dans le calme. Nous apprenons que la maire est passé, que l’électricité a été coupée, et qu’il tient à ce que l’expulsion ait lieu dès le lendemain, à 7h.

Lundi 24 novembre

La nuit qui a suivi la soirée de travail chez Jean-Claude a été trop courte. Levés 4h30, car il faut arriver au squat avant les forces de l’ordre. Il n’est pas ici question de provoquer ou même d’affronter les flics, juste de protéger les enfants, de cadrer l’action afin que tout se passe au mieux. Un café, départ 5h. Nous restons tous 3 longtemps, un peu inquiets à l’idée d’être seuls au cas où l’expulsion s’effectue, tellement nous désirons montrer à nos amis qu’ils ne sont pas sans soutien. Sur place, tout est calme, ils savent que nous veillons, ils nous font confiance, et ça fait chaud au cœur. Peu à peu, une, puis deux mamans apparaissent, un peu étonnées mais heureuses qu’on soit là, depuis un moment. L’une a mal au crâne, l’autre au ventre ; nous mettons cela sur le compte du stress. D’autres militants arrivent, dont, en premier, Houria et Maurice, avec qui nous tisserons de solides liens d’amitié. Bientôt, tous sont levés, et nous finissons par compter une dizaine de militants. Distribution de bandeaux DOSTA ; la demande est forte ! Esméralda en fabrique plusieurs autres sur place. Nous prenons de photos, évidemment. Une jeune femme, qui a des contacts dans la presse, alerte les journalistes. Nous faisons plus ample connaissance avec Nicu, un papa Rom qui dort sur le squat, bien qu’il s’abrite d’habitude en tente, avec son épouse et ses trois fils. Une équipe de FR3 arrive. Nos amis ont écouté nos conseils de recevoir les journalistes dans le calme, et sont tous assis sur les marches du bâtiment, avec leur bandeau DOSTA !. Chouette interview d’Esmé, Nicu etc., et du responsable du Collectif Solidarité Roms, qui ne passera pas à l’écran. Pas plus mal, car, affirmer que le Collectif est toujours présent et a toujours soutenu et aidé, est un peu exagéré ! Nicu confirme nos doutes.

Infos sur l’événement (France 3 : 24-11-2014)

Les « résidents » du squat affirment être prêts à se scinder pour une gestion plus facile, mais nous craignons que, du coup, les expulser soit plus facile. Nous repartons, non sans promettre de revenir avec vivres. Le véhicule de la Police Municipale est passé deux fois, celui de la B.A.C. aussi. Les agents de la Police Municipale ont demandé à Esméralda « qui êtes-vous » ? Elle se présente, Présidente de la Fédération européenne des femmes roms et voyageuses. Aucun des agents ne connaît cette Fédération, Esméralda les éclaire. « Ok, on n’est pas là pour vous embêter ». Cela ne nous ôte pas l’angoisse d’une éventuelle et imminente expulsion. Nous nous tenons prêts. Après le repas, chez Jean-Claude, nous prenons un peu de repos. Vers 15h, direction courses. Nous achetons de l’eau, des couches, du sucre et du sel fin, de l’huile, des Knakis, des pâtes. À nouveau, nous nous fâcherons devant l’impatience des mains tendues dans la bousculade. Nicu, désigné volontaire, nous aide à distribuer de façon la plus équitable possible, et dans le calme. C’est harassés que nous arrivons chez la fille de Jean-Claude qui nous a invités à souper.

Mardi 25 novembre

Ce matin, nous sommes allés apporter des fruits et des légumes au squat. Nous avons trouvé la police sur place, Nationale et Municipale, et même la gendarmerie. Constatant que tout semble calme, et les bons échanges, cette dernière repart. Un jeune policier municipal est choqué de la situation dont il ne comprend pas l’existence. La présence des enfants, 32 en tout, le trouble. Il demande à Esmé qui elle est et ce qu’elle représente ou de quelle asso elle fait partie. Ce à quoi répond clairement celle-ci. « Mais, que veulent-ils ? »… « De l’eau, des couches, dans un premier temps ; sinon, que le lieu soit sécurisé, qu’il y ait eau et électricité », lui répond-on. La distribution de ce qu’on a apporté se fait par famille. Pour le reste, on les laisse se débrouiller. Il faut qu’ils partagent. À 19h, nous nous rendons à nouveau au squat, afin de discuter entre membres d’asso diverses de la meilleure direction à prendre, et des décisions les plus judicieuses. Parmi les militants présents, des personnes déjà rencontrées, dont Olga, de La Gueule Noire, des membres du Collectif Solidarité Rom, et leur responsable, Paul Roux, et un homme qui semble au premier abord plutôt investi, se présentant comme adhérant au DAL 42, dont nous apprendrons ensuite qu’il s’appelle Pierre Maréchal ; ce qui étonne presque agréablement Esmé, qui se souvient d’un personnage jadis plutôt pas clair, voire ignoble. Comme quoi, on peut changer, pense-t-on. Et, en prime, il a l’air de filer le parfait amour avec une jeune Rom. Cette rencontre est « bavaseuse », stérile. Je commence à bouillir sérieusement, lorsque je vois Esmé sortir du cercle et s’approcher d’une jeune maman dont le bébé tousse de manière anormale depuis un bon moment, et pleure d’une manière si faible, comme si il se retenait… ou comme si quelque chose le gênait. Esmé soupçonne une crise d’asthme. La maman confirme, son enfant est asthmatique. Esmé, Jean-Claude (notre chauffeur), les parents et moi amenons le bébé aux urgences. Là, tout va plutôt vite, et le bébé ainsi que sa maman, accompagnés d’Esmé, suivent le médecin pour la consultation. Nous restons dans la salle d’attente, Jean-Claude, le papa, et moi. Je prends des photos des fresques de l’entrée. Heureusement que ce petit a été pris en charge ce soir-là. Il serait mort dans la nuit. Et même avant. ! En effet, la médecin décèle la présence d’un quartier d’orange coincé dans le larynx du gamin. Sonde, appareil pour l’aider à respirer, puis radio de contrôle. Nous repartons heureux et soulagés, après une tasse de café réconfortante. Au squat, les « réunioneurs » sont partis depuis belle lurette. Nous saurons que pas grand-chose n’en est ressorti. Nous laissons à la maman les dernières couches qui restaient dans le camion.

Mercredi 26 novembre

Nous allons au squat distribuer des patates. Puis, nous nous rendons à Emmaüs, où Alain et Maria nous invitent à partager leur repas. Nous échangeons à propos d’une convocation (orale…) par la police. Ils veulent voir Alain, Maria, JC et une jeune stagiaire à propos de l’ouverture du squat, suite à une plainte déposée par le maire de La Talaudière. Après les avoir accusés d’avoir pénétré dans le bâtiment avec effraction, il insiste sur l’insalubrité des lieux. Nous pensons alors fortement que l’expulsion est imminente.

Chez Jean-Claude, ça bosse dur, il faut préparer des cartons avec les textes de loi et leurs références. En fin d’aprèm’, nous revenons au squat, avec les téléphones qui nous ont été confiés afin d’être chargés. Houria nous prévient par téléphone qu’elle arrive avec Maurice, pour amener de la soupe ; ou plutôt deux soupes, une aux pâtes pour les enfants, l’autre, orientale, avec de la viande, pour les adultes. Une fois effectuée la distribution plus que bruyante et agitée, nous nous régalons tous ensemble. Enfants comme parents sont inquiets à l’idée que les forces de l’ordre surviennent. Les enfants ont peur qu’on les tape, les mamans que l’on emmène leurs maris en prison… Nous les rassurons comme nous pouvons. Et puis, leur assurons-nous, nous serons entre les forces de l’ordre et eux. À ce moment-là, nous croyons que c’est imminent. Nous aurons aussi bien voyant les textes de loi et leurs références, ainsi que les banderoles. Nous rentrons un brin épuisés. Le manque de sommeil commence à agir. Mais la journée se termine avec une claque : l’article paru dans le journal du coin ! La rage…

Jeudi 27 novembre

Levés 4h, arrivée 5h15. Tout est silencieux. Houria et Maurice sont, comme d’habitude, les premiers à nous rejoindre. D’autres suivent bien plus tard. Nous jouons avec les gosses qui se lèvent les uns après les autres : jeux de mains (et pas de vilains !), ballon, etc. Vers 7h30, Jean-Claude doit se rendre au commissariat où il a été convoqué, avec les autres ; Maurice fera le taxi. Ils reviennent tous sur le squat. Le plus difficile, apparemment, d’après Jean-Claude, a été la mauvaise foi des personnes qui les interrogeaient. Nous faisons aussi quelques courses pour nous, cette fois-ci, il ne s’agit pas qu’on se laisse aller si l’on veut tenir. Repas sur le pouce, je range ensuite les photos, tandis qu’Esmé et Jean-Claude se reposent un peu, puis, lasse, je plonge également. Nous passons à Emmaüs prendre balais, poussette et sacs poubelles proposés, et nous abordons les fêtes de Noël, pour les enfants Roms. Alain nous donne un carton de victuailles. Nous faisons un direct au squat, où, pour une fois, nous nous fâchons vraiment. Nous ne voulons pas avoir à faire à des grands enfants, à des sauvages, mais à des adultes matures, nous ne voulons pas donner raison à ceux qui ont rendu ces personnes que nous entourons aussi dépendantes de nous, au point de bousculer les autres, de nous bousculer. Malgré le calme revenu et les moments de jeux avec les enfants, je repars en larmes, et je m’en veux. Ne pas ajouter à leur inquiétude, ne pas craquer sans risquer de les déstabiliser… Les enfants semblent un peu perturbés. Une des fillettes me demande pourquoi je pleure, je réponds que je suis juste un peu fatiguée, et à une maman, que je suis triste pour eux. Pas malin ! Je veux rentrer demain !!!

Vendredi 28 novembre

Au moment où nous montons dans le camion pour rejoindre le squat, nous recevons un coup de fil d’Houria… des journalistes et des flics sont sur place. Il faut retenir les journalistes, on a plein de choses à leur dire ! Lorsqu’on arrive, il en reste un, qui interview Esméralda. Houria est sur les nerfs ; elle a dû remettre à sa place une personne du Collectif Solidarité Roms, qui assure au journaliste qu’elle suit les Roms du squat depuis deux mois, et qu’elle fait le 115 tous les jours ! À côté de cela, nous avons un échange positif avec un jeune policier municipal, compréhensif et même plus.

Jean-Claude a amené 15 de ses poules (sur 25) aux « résidents » du squat. Les femmes se mettent tout de suite au travail de plumage etc. Nous sommes heureux, ils mangeront de la viande aujourd’hui. Nous confectionnons encore pas mal de cartons et de banderoles, dont l’une est une prière à Ste Blandine…. Erreur qui est mienne, le prénom étant celui de la petite fille qui aurait une vision (pèlerinage chaque année), et non de la sainte. Une voisine vient ramener le linge qu’elle avait emmené pour le laver. Ce jour-là, nous faisons fait la connaissance de deux autres belles personnes : Nicolas et sa maman, très déterminée, qui a obtenu que le boulanger délivre un peu d’eau aux "résidents" du squat !

Repos.

Retour au squat où devait venir un groupe de musiciens que nous ne croiserons pas. Par contre, certains ont l’air bien éméchés. Qui leur a amené de l’alcool ? Comme si c’était la meilleure chose à faire. On a l’impression parfois que certains qui font mine d’aider ne sèment que le désordre ! Nous apprenons que des jeunes d’origine marocaine sont venus faire un scandale, et ont interrogé les femmes… Soupçon de vol avec intimidation. Nous ne saurons pas exactement ce qui s’est passé et comment, mais les femmes semblent mettre de côté une des leurs.

Nous lisons la requête du maire en vue de l’expulsion. Au retour, Esméralda a l’idée de préparer une pétition, qui sera mise en ligne rapidement. Nous récoltons assez vite 229 signatures, et remuerons le monde pour que cela continue !

Samedi 29 novembre

Départ fin de matinée, St Etienne est recouvert d’un voile blanc, il fait froid ! Nous apportons à nouveau des fruits et des légumes au squat. À l’arrière de la maison, un feu cuit les aliments préparés par les mamans. Une maman est fiévreuse, les enfants, peu nombreux aujourd’hui, sont affamés. Nous allons chercher des baguettes et du chocolat. Des agents de la police Nationale arrivent, prêts à l’échange, mais évidemment, pas décideurs. « Nous, on applique les ordres »… Ben oui, hélas ! Sandrine, une militante que nous avons déjà rencontrée, apporte, elle aussi, des vêtements lavés par ses soins. Valentin nous fait le coup du « terroriste », couteau sous sa gorge… on s’amuse malgré la situation. Une petite fille nous montre, toute fière, sa superbe poupée Barbie. Je crois qu’elle s’appelle Esméralda, elle aussi. Pas la poupée, hein, mais la fillette ! Nous faisons plus ample connaissance avec un jeune albanais, qui se vante de parler trois langue, la sienne, le Français, et le Romani, qui dit être sans-papier, etc. Son discours me trouble, comme si cela sonnait faux ; intuition ? Esmé a la même impression. Jean-Claude va chercher des palettes, qui ne feront pas… long feu ! Au retour, un lapin, rejoint par une poule, nous accueillent chez Jean-Claude. Comme quoi, on peut être différent et s’entendre ! Tout comme Joya, la petite chienne malinoise de Jean-Claude, et Minouche, le chat de la maison.

Le 30, rien de bien nouveau, nous en profitons pour nous reposer un peu, toujours sur le qui-vive, malgré tout.

Lundi 1er décembre

Nous recevons un coup de fil de Nicu, la PAF (Police des Frontières) est passée pour constater qu’ils sont toujours en place. Un jeune policier nous confirme que l’expulsion pourrait avoir lieu dans la journée. Les petits sont gelés, leurs mains glaciales, que nous prenons dans les nôtres et que nous glissons dans nos manches. Les miennes, de manches, sont de couleur variable, comme le reste de mes vêtements ; je n’avais pas prévu de rester si longtemps, et je ne peux résister aux câlins, qu’ils soient « morveux » ou pas, tout comme Esméralda, Jean-Claude, Houria, pas le temps de faire des lessives ! Je ne peux affirmer que je ne rêve pas de lessives et d’un bon bain… Esmé, qui a détecté quelques enfants asthmatiques (soupçons confirmés par les mamans), dépanne en Ventoline, à utiliser modérément Une petite se plaint des côtes, mais que faire ? Jean-Claude, Esmé, Houria, et moi, partons à la recherche d’eau. Le jeune policier nous avait prévenus qu’on n’en trouve plus nulle part, toutes les arrivées d’eau sont fermées en prévention du gel éventuel. Même au cimetière. Nous finissons par trouver une bonne âme aux services techniques… mais… chuuuuuuuuuutttt ! Nous remplissons un gros tonneau, deux seaux et une bouteille, et nous laisserons le tout au squat. FR3 appelle Esmé ; le journaliste voudrait des précisions sur la situation, et demande qu’on l’avertisse si quoi que ce soit se passait de nouveau.

En fin d’après-midi, nous allons poser 300 signatures à le Préfecture, à remettre la Préfète.

Mardi 02 décembre

Nous nous levons encore une fois à 4h, car la rumeur à couru à nouveau que l’expulsion risquait de se passer aujourd’hui. Nous trouvons une partie de nos amis déjà réveillés, un brin inquiets. Nous régalons les p’tits loups des pains au chocolat et des croissants acheté chez le boulanger voisin, qui semble de plus en plus humain… à moins que ce ne soit parce qu’il se dit que le moment approche de sa « libération » ! L’homme ajoute même un invendu de la veille.

Dans la matinée, un huissier passe, alors que nous nous réchauffions à l’intérieur et à la chaleur de l’amitié. Cet homme se gargarise, répétant qu’il est mandaté, lui et lui seul, par la Préfète, pour procéder aux expulsions. Il nous assure qu’il n’y en aura pas aujourd’hui, ni demain d’ailleurs. Malgré notre méfiance, nous sommes soulagés.

Marie arrive, une autre belle âme, électron libre et déterminée, comme Houria. Elle est un peu déçue du Collectif Solidarité Roms, elle en attendait beaucoup… Jean-Claude l’emmène à Emmaüs pour aller récolter quelques vêtements. La distribution qui suit leur retour est à nouveau un (joyeux ? Pas tant que ça) bordel. Nous rentrons crevés, une fois de plus. Marie nous apprend que le boulanger a proposé de passer vers 19h30… ce dont j’informe Nicu, car nous ne ressortirons pas. Nous filons au lit tôt, et même pas le courage de souper.

Mercredi 03 décembre

Pour une fois, nous avons à peu près bien dormi, et avons eu une nuit suffisamment longue. Derrière le squat, le feu cuit viande et pommes de terre. Une maman insiste pour que nous mangions un bout de pain et de viande. Comment refuser, même s’il est à peine 10h ? Les enfants nous pressent pour qu’on les suive à l’intérieur. Ce n’est pas de refus, et puis, si on n’entre pas, ils vont se geler avec nous, quel intérêt ?! Ils nous semblent plus fatigués, un peu impatients, un peu agressifs entre eux. Nous faisons de petits jeux avec eux, cartes, petits chants mimés, etc.

On file chez Alain et Maria. Il est question de l’expulsion ; nous souhaitons que la Préfète fasse preuve d’un peu d’humanité, et les reloge, fusse dans un gymnase. Nous nous donnons RV pour 16h30.

Le déjeuner chez la fille de Jean-Claude nous requinque, physiquement et moralement.

Retour chez les amis d’Emmaüs. Et nous espérons convaincre la Préfète de garder le gymnase ouvert même la journée, en cas d’expulsion, surtout si des asso se portent garant de la propreté, d’un encadrement des enfants, et d’alphabétisation, par exemple, des adultes, d’un accompagnement des hommes, dans l’espoir qu’ils obtiennent un emploi. Un barnum pourrait être monté dehors, afin que se fasse la cuisine. Eux seraient enfin à l’abri, et nous, nous pourrions rentrer. Enfin, c’est l’obsession pour moi, en tous cas ! Mais comment laisser en plan un travail à peine ébauché ? Ce sont mes amis qui me donnent le courage de rester, et un brin de culpabilité…

En plus, dans le journal du coin, l’article concernant le squat de la rue de la Chazotte, est particulièrement négatif.

En soirée, Marie vient faire un peu le point et souper avec nous. Nous nous couchons vers 1h…

Jeudi 04 décembre

Prêts vers 8h30, toujours pas de news. Nous prenons la direction du squat un peu avant 10h. Dès notre arrivée, Nicu nous apprend que deux motards sont passés en repérage, apparemment. Aussitôt, deux camionnettes et une voiture de police s’arrêtent, d’où descendent en tout, motards compris, une dizaine d’uniformes. Savent-ils que les Roms forment un peuple pacifique ? Les gosses se mettent à pleurer, les femmes également. Je prends une photo, mais l’un des flics s’approche et me lance « pas de photo », puis, tandis que je dis bonjour aux enfants, s’exclame « moi aussi je peux vous prendre en photo. Je relève la tête, il tient son téléphone portable et ajoute « faîtes-moi un petit sourire »… Crétin ! En temps normal, je lui aurais tiré la langue, ce que je n’ai pas eu la présence d’esprit de faire ; d’ailleurs, comment aurait-il réagi ? Je remarque alors, très choquée, que l’un d’eux tient un Flash Ball bien en vue. A-t-on jamais vu un Rom se rebeller ? Sauter de rage sur un flic ? Encore moins à plusieurs… Jamais d’émeute, juste une immense lassitude. Les flics s’approchent d’un couple, et s’adressent au papa ; ils commencent à le fouiller. « Bingo », crie l’un d’eux comme s’il venait de gagner la bataille de Waterloo ! Deux ou trois morceaux de shit, maigre butin, étaient enroulés dans une bande de gaze. S’ensuivent des testeurs de parfum, une liasse de billets, des bijoux fantaisie, et d’autres en or. Parmi eux, nous saurons qu’il y avait les alliances du couple. Les femmes crient (sœur, épouse etc.) qu’il n’a pas volé, l’hystérie n’est pas loin, tant les nerfs sot à vif, et la fatigue usante. Un des flics nous accuse de soutenir ces « gens-là », de protéger des voleurs. Non, nous ne protégeons pas des voleurs, mais les gosses qui ne sont pour rien dans la situation. Mais il insiste, le bougre, et j’ai beau essayer de discuter, rien n’y fait, formaté au jugement, dégradant s’il le faut. De plus, nous n’avons pas la même définition des mots… Je laisse tomber. Comme dirait maman « bouché à l’émeri » ! Surtout que les vrais voleurs sont ceux qui nous gouvernent !!! Et puis, généraliser ainsi, tous des voleurs… Là, celui qu’il soupçonne représenterait 1/60. Si on faisait le calcul dans chaque ville, celle de La Talaudière, tiens, au hasard ?! Un des flics nous demande d’emmener les enfants à l’intérieur. Je me sens complètement impuissante. Comment veut-il qu’on oblige des gosses à nous suivre, alors que les adultes, leurs parents, oncles et tantes, sont sens-dessus-dessous et que leurs nerfs lâchent ? Esméralda a alors l’idée du siècle : « qui veut des pains au chocolat ? » crie-t-elle. Elle est aussitôt entourée d’une nuée d’oiseaux gourmands et affamés. Lorsque nous revenons, les flics embarquent l’homme. Une des jeunes femmes s’en prend à eux et fait mine de leur lancer son bébé, comme pour dire « tenez, tant que vous y êtes, prenez-le aussi ». Nous avions remarqué combien elle avait changé, maigri, et combien elle devenait de plus en plus « hargneuse ». Dépression ? Les flics ont bien failli embarquer aussi la maman, mais l’enfant qu’elle tient dans les bras hurle si fort qu’ils renoncent. Nous sommes abasourdis. Nous consolons encore longtemps les enfants traumatisés, qui ne cessent de pleurer et de gémir de manière continue. Même les plus durs. Le papa sera relâché vers 19h. Il sera convoqué au tribunal, lui dit-on. Nous lui trouvons rapidement un avocat. Et nous réunissons un maximum de preuves pour expliquer la présence de l’argent (les alloc du Conseil Général pour trois foyers). J’espère qu’on rendra à « Tibi » son alliance et celle de sa femme. Et nous expliquons à cette dernière qu’à un avocat, on dit la vérité. À lui de se faire ensuite son idée, et de défendre les personnes. Preuve que les accusations ne sont pas aussi graves que les flics voulaient nous faire croire, pensons-nous, ils ne l’ont retenu que quelques heures. Sinon, il aurait eu droit à la comparution immédiate, sans doute. Malgré tout, nous nous demandons ce qui va se passer, et si tout le boulot entrepris ne va pas tomber à l’eau. Nous filons chez Alain et Maria, afin de les mettre au courant. Eux aussi sont catastrophés.

Entre-temps, Esmé s’est occupée du cas de Nicu, et lui fait signer une attestation sur l’honneur concernant ses revenus non imposables, et la scolarisation de ses enfants, pour qui il se lève tous les jours à 7h, afin de prendre le bus pour le collège de St Etienne.

Ce soir-là, nous n’avons pas la force de retourner sur le squat.

Vendredi 5 décembre

Au squat, les Roms nous confirment que, tandis que « Tibi » était en garde à vue, les flics sont revenus pour une perquisition en règle, avec tout ce que cela veut dire de désordre et d’humiliation. Tibi a été remis en liberté, certes, mais « allégé » des sous qu’il gardait… et du reste !

Dans l’après-midi, nous nous rendons à St Etienne, dans les locaux du Collectif Solidarité Roms, afin de faire le point sur le travail effectué, et la tâche qu’il reste à accomplir. Nous y retrouvons quelques « résidents » du squat, dont notre jeune albanais, pas très cohérent dans son discours sur sa situation. Il nous avait confié ne pas avoir de papiers, avoir peur des expulsions. Là, il prétend avoir une carte de séjour pour 3 ans, ce qui semble bizarre, car, d’habitude, la carte est délivrée pour un an renouvelable trois fois. Soit, ou il n’a pas compris, ou il existe des exceptions ! En soirée, Marie vient faire le point avec nous chez Jean-Claude. Il s’agit d’être clair avec l’avocate de Tibi, lors du RV, et il va falloir prendre en main le travail restant, suite à notre départ le lendemain.

Samedi 6 décembre

Etrange sentiment qui me perturbe, de soulagement et de culpabilité. Bien sûr, durant le trajet, nous ne pouvons nous empêcher de parler de ces derniers jours, des soucis et des joies rencontrées, des belles personnes croisées, engagées et déterminées, comme Alain et Maria, Houria, Marie, Olga… Lorsque Jean-Claude et Esmé me déposent à Nîmes, je regarde mes amis s’éloigner, le cœur serré.

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Les bohémiens

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Si quelqu’un s’inquiète de notre absence,
-  Dites-lui qu’on a été jeté
-  Du ciel et de la lumière,
-  Nous les seigneurs de ce vaste univers

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Ils ont laissé leurs chaussures au bas des murs
-  T’oves baxtalo les autres !
-  Les bohémiens, les bohémiens,
-  Nous les seigneurs de l’univers

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Si quelqu’un s’inquiète de notre absence,
-  Dites-lui qu’on a été jeté
-  Du ciel et de la lumière,
-  Nous les seigneurs du vaste univers

- 

Hier, demain, n’existe pas
-  deja la deja la
-  Ni les anges, ni Dieu, n’existent plus

- 

- Si quelqu’un s’inquiète de notre absence,
-  Dites-lui qu’on a été jeté
-  Du ciel et de la lumière,
-  Nous les seigneurs du vaste univers

- 

A force de leur limer la peau
-  Ils sont partis pieds nus là-bas,
-  Là où les anges, les dieux n’existent plus

- 

- Si quelqu’un s’inquiète de notre absence, Dites-lui qu’on a été jeté Du ciel et de la lumière, Nous les seigneurs de ce vaste univers

- 

- Catherine Ringer pour le film Liberté de Tony Gatlif

- 

- Pétition


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